Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
The marvelous Mrs Susie

Pensées sarcastiques sur le monde qui m'entoure

El habitante : pardonner l'inceste pour en guérir ?

Attention spoilers.

L'exorcisme de Tamara. Moué. Pourquoi ne pas avoir gardé le titre original, El habitante, bien plus sobre, bien plus ambigu avec ce double sens de celui qui habite, qui vit dans une demeure, en prend possession... Comme dans tous les - bons - films de possession démoniaque, El habitante ne déroge pas à la règle et prend place dans une demeure familiale, élément central pourtant à l'écart de la foule ou du centre ville ; habitation sombre filmée la nuit et jouant l'un des rôles principaux avec les autres protagonistes : des femmes, des hommes et... L'habitant.

Des femmes. Ici elles sont six : 3 sœurs, deux mères, une fille, une autre mère ; mères omniprésentes mais pourtant mères silencieuses tentant d'étouffer l'indicible et de ne pas nuire à la Famille. Garde le secret, quitte à trahir les survivantes, quitte à frayer avec le Malin, mais surtout garde le secret et ment ; elle s'est fait ça toute seule, surtout couvrez lui le visage, que personne ne la voit. Qu'elle reste dans la cave. Quant aux hommes, bon, que dire ? Incestueux, violents, corrompus, possessifs... hormis avec nuances le prêtre, qui fait pâle figure parmi tous les autres, qui croit faire le Bien en utilisant le Mal et se corrompra lui aussi, et l'image du frère, fantomatique et inachevé sur les portraits de la famille idéale.

Contrairement à L'exorciste ou Veronica qui suggèrent très fortement le traumatisme sexuel, El habitante prend le parti dès les premières minutes de distiller un malaise pour le dévoiler et le nommer très rapidement : L'INCESTE. Sans fards, sans mauvaise interprétation possible, il est montré. Il n'y a pas d'équivoque et les liens familiaux entre les "sœurs" se devinent de plus en plus aisément. Car nous, spectateurs, ne pouvons pas nous conforter dans le déni comme la totalité des personnages et le réalisateur (Guillermo Amoedo) nous force à observer cette histoire de répétition de traumas dans des lieux différents, avec des personnes différentes, dans des milieux sociaux différents allant du populo au bourgeois clinquant, signant là une omniprésence de l'inceste, un Mal universel touchant tous les peuples.

Maria, Camila et Anna pénètrent de nuit dans la villa somptueuse d'un sénateur, dans le but de lui dérober une énorme somme d'argent, la vie de Camila en dépendant. Ne trouvant pas le trésor espéré, elles vont réveiller le sénateur et sa femme, et en fouillant les pièces, Camila va tomber sur... El habitante, la dite Tamara, attachée à un lit dans la cave, comme toute bonne possédée ou... victime d'inceste qu'elle est, ce que va plutôt supposer Camila. Elle va la délivrer à l'aide d'un marteau pour le moins libérateur en d'autres temps, mais très vite les choses vont dégénérer quand le trio de femmes va s'apercevoir de la "manipulation" exercée par le Démon, celui-ci étant - une nouvelle fois - le révélateur de la vérité que toutes essaient de cacher sous une immense chape de plomb.

L'INCESTE.

A partir de ce moment là tous les secrets de famille vont voler en éclats dans une violence sans nom, vérité explosive qui fera des victimes, celles qui n'étaient pas prêtes, celles qui ne s'en sont pas réchappées, celles qui ne peuvent pas voir et entendre, et celles pour qui la révélation va les mettre à mal dans leurs liens et dans leur origine et qui préféreront s'évanouir à jamais : fille/mère, fille/sœur, sœur traîtresse, frère homosexuel et rejeté par le patriarcat ambiant, père/Père corrompu et intégriste, mères silencieuses et manipulatrices...

"Les mensonges ne servent à rien mais la vérité déplace les montagnes" dira le démon Amon, démon de la douleur et de la colère ; choix ô combien révélateur et pertinent du contexte dans lequel les protagonistes se débattent. Et toutes ces personnes vont périr dans leur âme et dans leur chair dans cette vérité déplacée, honteuse, impossible à assumer : comment ne pas devenir folle quand mécaniquement, en dehors de tout contrôle, le plaisir se fait ressentir suite à un viol commis par son géniteur ? Guillermo Amoedo nous balance cet ultime tabou en pleine face, tabou encore plus ultime que l'inceste lui-même, autant dire inavouable et impossible à mentaliser, anéantissant davantage la victime que si elle était marquée au fer rouge... Peut-on parler de victime quand il y a plaisir ? Le commun des mortels ne peut pas comprendre et dépècera en place publique ces pauvres âmes qui ne chercheront même plus à témoigner.

Effectivement elles n'y survivront pas.

A part Maria, l'image de la Sainte, pécheresse car elle a trahit sa sœur mais finit toute auréolée de l'amour de sa mère et bénie par Dieu dans cet ultime geste chrétien et généreux : libérer Tamara du démon (le premier exorcisme que j'ai jamais vu fait par une femme), pardonner le père pour les viols commis, et introniser le Père dans un rôle a priori protecteur envers les victimes, lui conférant une toute puissance universelle. En somme libérer les survivantes de la douleur et de la colère générées par la violence sexuelle. Préférer le silence, le repentir, les compromis douteux et dangereux et l'apaisement, à la trahison familiale qui reste sauve sous ses dehors corrects. Sagesse ? Non, folie que de vouloir et croire à une paix alors qu'il ne s'agit que de manipulation et de mensonges, que de mieux être superficiel avant un pis aller inévitable, que d'une bulle d'air fragile qui éclatera à la fin du monde.

Car fin du monde il y aura.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article